C’est comme cela qu’on se sent quand on goûte au bonheur ?

Ce vendredi 8 mars, on ne déroge pas à la règle. Retrouvez donc une nouvelle partie des aventures de Sarah.

Retrouvez ici la toute première partie de la nouvelle.

Bonne lecture !

Les effluves d’épices et d’alcool se répandent dans ma gorge et je sens le liquide embraser mes entrailles comme une coulée de lave. J’entame mon deuxième shot à la cannelle, au troisième peut-être aurais-je cette photo que je rechigne tant à faire. Je me tourne vers les deux amants. Ils sont en pleine discussion. Delphine, j’ignore toujours son nom, semble perdre son regard dans celui de Luc. Il laisse ses doigts glisser sur sa main mais n’ose pas s’y attarder comme s’il craignait de ne plus jamais pouvoir la quitter. Mon téléphone est posé contre mon verre et n’attend que l’instant. Le merveilleux instant qui capté dans mon appareil ne laissera plus de doute sur la liaison secrète de ces deux-là. Quelques doigts posés sur une main ne suffisent pas. Il me faut de la passion, un baiser langoureux, un contact qui scellerait leurs enveloppes charnelles. Je ne demande rien de plus qu’un simple baiser. Je surveille du coin de l’œil les doigts que l’inconnu laisse parcourir sur la main puis sur le bras de Luc. Je retiens ma respiration. Il semble retenir la sienne également. Il ignore encore s’il franchira le pas. Je n’en ai aucune certitude non plus, mais je tiens fermement mon téléphone, prête à dégainer dès que leurs lèvres se seront touchées.

Je pense à toutes ces années où Luc s’est caché derrière ce sourire, derrière une réputation de coureurs de jupons alors qu’il préférait les pantalons. Avait-il eu également son lot de souffrances ? Avait-il suffoqué en tentant de survivre ? Je n’en sais rien et je m’en fiche. J’aurais pu être compatissante mais je ne suis pas Dieu pour lui pardonner bien que je m’octroie le droit de me venger. Alors quand Luc et son amant mystérieux se sont embrassés. J’ai appuyé. Appuyé si fort et plusieurs fois que j’ai dû prendre des photos par milliers. Cette fois je la tiens ma revanche.

Ce soir, je suis si légère que je pense m’envoler au moindre coup de vent. Je semble marcher sur un nuage de mousse et j’ai comme une envie de siffler et de danser. Alors c’est comme cela qu’on se sent quand on goûte au bonheur ? Un bonheur futile qui ne tient qu’à quelques pixels confinés dans une petite boîte noire. Une excitation telle qu’elle a réveillé des sentiments en moi que je pensais endormis. Je savoure ma victoire et me délecte avant l’heure du chaos que je vais semer dans la vie de Luc Ongaro.

Le cliché est bien plus net et frappant en grand format. On ressent toute la passion qui lie les deux amants et la tendresse de leurs touchers. J’en suis presque attendrie. Je repose délicatement la photo sur la pile des dizaines d’autres qui trône sur ma table.

Le lendemain, je me rends chez Luc. Le digicode à l’entrée me bloque l’accès. Heureusement, une vieille dame sort son chien. J’en profite alors pour me faufiler à l’intérieur du bâtiment. L’entrée donne sur une arrière cour, une escapade champêtre au cœur de la ville, où trônent des érables du japon et des plantes vivaces, offrant à mes yeux une peinture haute en couleurs. Je  me dirige vers les boîtes aux lettres, près des plantes grimpantes, à la recherche ce celle des Ongaro. J’y glisse mon enveloppe qui contient la fameuse photo. Pas de lettre, rien, juste ce simple cliché. À quoi bon parloter quand les images nous en disent bien plus ? Je sais que la femme de Luc rentre plus tôt. Elle tombera la première dessus, puis tombera des nues en voyant son mari embrasser un autre.

Le reste de la journée, j’attends patiemment que sa vie éclate en mille morceaux. 19h passé toujours rien. Pas même un message de sa femme affolée lui sommant de rentrer sur-le-champ. Divers scénarios se bousculent alors dans ma tête. Et si elle n’était pas tombée sur l’enveloppe ? Si comme par hasard Luc avait décidé de poser son après-midi aujourd’hui et qu’il avait intercepté le courrier ? Et si c’était même une nounou qui pour protéger ses employeurs s’était emparée de la photo ? Un tel scandale ferait un énorme bruit. Ce silence n’augure rien de bon. Sa femme n’a probablement pas vu la photo et ne sait rien de l’aventure de son mari.

Amère de mon échec, je fixe le plafond. J’ai l’impression qu’il va me tomber sur la tête. Mon téléphone vibre mais je n’ai pas envie de quitter ce plafond des yeux. Après tout, qu’il s’écroule sur moi ça mettra fin à mon supplice. Il vibre une deuxième fois; puis une troisième. Je tourne la tête comme si j’avais un quelconque pouvoir pour que cette nuisance cesse. Il vibre une quatrième fois. Loupé, je ne suis qu’un être ordinaire. Je me hisse pour saisir le perturbateur. J’assiste alors à une discussion houleuse entre les deux amants.

À quoi tu joues bordel ? Tu voulais foutre mon mariage en l’air ?

Pardon ? De quoi tu parles ?

De ta photo minable pour exposer notre liaison.

Mais quelle photo ? Je ne t’ai rien envoyé du tout.

Une photo de nous deux a été prise hier soir et mise dans ma boîte aux lettres. Ma femme est tombée dessus.

Merde…Je n’ai rien à voir dans cette histoire. J’ai bien plus à perdre si ça s’ébruite et tu le sais.

Ouais je suis perdu. Je ne comprends pas ce qui se passe.

Est-ce que quelqu’un t’en veux ?

Pitié ! Je suis DAF, je pourrais te faire une liste de gens qui m’en veulent.

….Et ta femme ?

Elle restera avec moi pour Lou et certainement pour les apparences aussi, mais elle m’a fait promettre d’être plus discret. Elle ne veut pas d’un scandale.

File-moi la photo dès que tu peux, je la ferai peut-être analyser. Cette histoire m’inquiète.

C’est clair ! Heureusement qu’elle tient plus à sa réputation. Sinon, on serait tous les deux dans un beau merdier.

La suite disponible ici

Crédit photo : Clem Onojeghuo, two person talking inside the bar during daytime sur Unsplash

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