Guide pour bien choisir la narration de son roman

C’est le quatrième mercredi du mois et comme convenu, je vous propose un quatrième article du dossier consacré à l’intrigue dans le roman

Retrouvez ci-dessous les articles précédents de la thématique : 

Pour la petite histoire, j’ai, depuis le début d’année, cette nouvelle idée de roman qui trotte dans ma tête. J’ai écrit deux chapitres pour le moment mais suis en plein doute quant au choix du point de vue de la narration. J’ai d’abord rédigé avec un point de vue omniscient, par défaut, on va dire puis j’ai tenté le point de vue interne mais je patauge. Petit conseil, il vaut mieux se poser les bonnes questions avant de commencer l’écriture plutôt que de se les poser en cours de route (quand vous en êtes à 150 pages quoi !) car comme vous le verrez le point de vue change pas mal de choses et il serait dommage de devoir modifier tout le travail effectué en amont parce que vous vous êtes aperçu que le point de vue choisi ne correspondait pas. 

Pourquoi est-ce important de bien choisir sa narration ? 

Bien choisir sa narration est primordiale pour votre intrigue dans la mesure où votre point de vue influencera la quantité et la qualité des informations que vous distillerez dans le récit et que vous partagerez donc à votre lecteur. Jouer sur le narrateur ainsi que le rythme de votre narration permettra de dynamiser votre intrigue, de surprendre le lecteur, bref d’avoir un récit vivant et nuancé. 

Avant de rentrer dans le vif du sujet une petite clarification s’impose. 

« Beaucoup de personnes se donnent encore aujourd’hui le ridicule de rendre un écrivain complice des sentiments qu’il attribue à ses personnages; et, s’il emploie le je, presque toutes sont tentées de le confondre avec le narrateur. » Balzac 

Important de rappeler que l’auteur n’est pas le narrateur. Nabokov n’est pas Humbert Humbert, il ne fait que donner une voix à son personnage abject.

L’auteur est la personne qui écrit le livre et qui existe réellement et le narrateur un élément fictif (une voix ou un personnage) qui raconte une histoire dans un roman, une nouvelle, etc…il y aura toujours un narrateur, c’est-à-dire quelqu’un qui parle qui raconte l’histoire. Ba oui si personne ne parle ce sera compliqué de faire avancer l’histoire. Si l’auteur = le narrateur alors il s’agit d’un roman autobiographique. 

Qui est le narrateur de votre histoire (qui parle) ? 

Selon le narratologue Gérard Genette il y a cinq types de narrateurs à distinguer en fonction ou non de leur présence dans l’histoire racontée (la diégèse) et du niveau de narration dans le cas de récits enchâssés. 

Un narrateur extradiégétique 

Le narrateur ne fait pas l’objet d’un récit. Il n’y a qu’un niveau d’histoire et il s’adresse directement au lecteur. Beaucoup de narrateurs de littérature sont extradiégétiques.  

Un narrateur-cadre (intradiégétique)  

Dans cette narration, le narrateur est un personnage dans une histoire mais qui raconte une histoire dans laquelle il n’intervient pas. 

Par exemple, Shéhérazade pour sauver sa vie narre 1001 contes dans lesquels elle ne joue aucun rôle. Il y a deux niveaux d’histoires : le premier niveau où Shéhérazade pour échapper à la mort distrait le sultan en racontant des histoires. Le second niveau est l’ensemble des contes racontés par Shéhérazade dans lesquels elle n’intervient pas. 

Un narrateur-voix (hétérodiégétique) 

Dans cette narration, celui qui raconte l’histoire est extérieur aux événements qu’il relate. Il n’est qu’une voix qui déroule l’histoire. Ce procédé est appelé hétérodiégétique en narratologie. La narration est généralement rédigée à la troisième personne du singulier. 

C’est le cas de Shéhérazade qui n’est pas dans les récits qu’elle raconte. 

Un narrateur interne (narrateur-personnage) 

Le narrateur, cette fois, joue un rôle dans le récit qu’il raconte. La narration est souvent écrite à la première personne du singulier. 

Il peut en être : 

  • simple acteur (homodiégétique), témoin de l’histoire

Par exemple, Ismaïl raconte la chasse de Moby Dick par le capitaine Achab. Il n’est pas le protagoniste de ce récit mais a participé à cette épopée en tant que membre de l’équipage. 

  • protagoniste (autodiégétique) 

Par exemple, Holden Caulfield dans l’Attrape-Cœurs est un narrateur autodiégétique qui raconte son histoire sur trois jours ? 

Qu’est-ce que le point de vue (ou focalisation) ? 

Si, à présent, vous avez une idée claire de celui qui parle, une autre question reste à éclaircir : À travers les yeux de qui ? C’est à cette réponse que répond la focalisation ou plus communément le point de vue. 

On distingue trois types de points de vue

  • le point de vue omniscient (ou focalisation zéro) : le narrateur sait absolument tout des personnages. Il est comme un Dieu tout-puissant qui connaît le passé, le présent et le futur des personnages. Il connaît leurs craintes et leurs sentiments. Le lecteur en sait beaucoup plus que les protagonistes. 
  • Le point de vue externe : Le narrateur est externe à l’histoire et ne relate que les faits, ce qu’il voit se dérouler sous ses yeux, telle une caméra. Il n’a pas accès aux sentiments des personnages et ne sait rien d’eux. Dans ce cas de figure, le lecteur en sait beaucoup moins que les personnages. 
  • Le point de vue interne : le narrateur connaît les pensées, les sentiments et l’histoire d’un seul personnage.

Concernant le choix du pronom, ce n’est pas parce que vous choisissez une focalisation interne que le roman est obligatoirement écrit à la première personne du singulier

Par exemple, la narration de mon roman Épouse-moi est en point de vue interne mais le récit est écrit à la troisième personne du singulier. Le narrateur ne connaît que les pensées de Cynthia et décrit les persos à travers la perception de Cynthia.

Le ton du narrateur externe est généralement neutre et impartial. En revanche, les deux autres points de vue laissent davantage libre cours à un ton plus prononcé en fonction du style de l’auteur

Par exemple, dans les romans de chick-lit le ton est très souvent satirique, celui dans les policiers aura plus tendance à être neutre pour ne présenter que les faits. 

Les questions à se poser avant de choisir son point de vue narratif 

Choisir son point de vue peut se révéler délicat. Un conseil, choisissez celui dans lequel vous vous sentez le plus à l’aise. Autrement, voici quelques questions que vous pouvez vous poser pour trouver ce qui sied à votre récit. 

Quelle relation entre le lecteur et le protagoniste ? 

Selon votre objectif, vous aurez tendance à privilégier un type de point de vue. 

Par exemple, si vous souhaitez qu’une réelle empathie se développe pour votre protagoniste, vous aurez tendance à privilégier un point de vue interne avec ou non un récit écrit à la 1ère personne du singulier. 

Quelles informations je souhaite donner à mon lecteur ? 

Plus le narrateur en connaîtra sur les personnages et plus le pouvoir d’identification du lecteur pour les personnages sera élevé. En effet, le lecteur aura le sentiment de faire partie de l’aventure avec les informations que vous lui donnerez sur les actions mais aussi sur les sentiments des personnages, etc….

Quel est le genre de mon roman ? 

Le genre dans lequel vous souhaitez écrire votre roman peut avoir certains codes liés aux éléments de la narration. Il serait donc judicieux que vous vous renseigniez sur ces codes pour soient les respecter ou bien vous en affranchir

Par exemple, en fantaisie, en raison du nombre important de personnages et d’intrigues, il est très courant d’avoir une narration interne de plusieurs personnages. Ce procédé permet de raconter les aventures de différents protagonistes qui peuvent chacun être des bouts de l’intrigue. 

Quel est mon type d’intrigue ? 

Rappelez-vous dans l’article sur les 20 intrigues de Ronald B. Tobias que vous pouvez lire ici si ce n’est pas fait, je vous disais qu’il y avait deux différents focus au niveau des intrigues. Les intrigues qui s’axent davantage sur les personnages et leurs psychologies et celles qui sont portées davantage sur l’action

Si vous choisissez une intrigue axée sur le personnage vous avez tout intérêt à privilégier un point de vue qui vous permette dans dire le plus sur le ou les personnages donc soit le point de vue omniscient soit le point de vue interne. Si le plus important est l’action, l’enquête par exemple comme dans une enquête policière où vous pouvez ne relater que des faits le point de vue externe peut convenir. 

Quel est le temps de la narration de votre roman

Dernier élément déterminant de la narration dans votre roman : le temps.

Le temps de la narration est le moment où le narrateur raconte les événements. Il est à différencier du temps de l’histoire qui est l’époque où les faits se déroulent, et l’ordre dans lequel ils se succèdent, l’ordre chronologique. 

Par exemple, une grand-mère raconte ses années de détention en tant que militante de la lutte pour l’indépendance à la fin des années 50 à sa petite-fille qui doit faire un exposé sur le colonialisme. 

temps de l’histoire : les années 50, la période où la grand-mère est en prison 

temps de la narration : Le moment où la grand-mère raconte son histoire à sa petite-fille   

Sachez que le temps de la narration est déterminé par trois éléments

  • Le moment de la narration

Pour déterminer le moment de la narration, vous devez savoir à quelle époque se situe votre narrateur par rapport au temps de l’histoire

Si on reprend l’exemple de la grand-mère prisonnière la narration est ultérieure au récit. Le narrateur raconte les événements après que ces derniers se sont déroulés. Vous devrez donc privilégier un temps au passé

Lorsque le temps de l’histoire est égal au temps de la narration, c’est-à-dire que le narrateur raconte les événements au même moment qu’ils se déroulent, on parle de narration simultanée. L’emploi du présent est donc privilégié mais pas obligatoire. 

La narration est antérieure si votre narrateur raconte les événements avant qu’ils ne se produisent. Procédé assez rare car non naturel et souvent décrit que dans un court passage. Ce procédé peut être justifié par un rêve prémonitoire, une prophétie, un oracle et associé à des récits imaginaires car non naturel. 

Enfin, la narration peut être intercalée, c’est-à-dire que le narrateur alterne le présent et le passé.

  • L’ordre  

On parle d’une chronologie quand les événements sont racontés dans l’ordre dans lequel ils se sont déroulés. C’est la forme la plus classique et la plus utilisée mais pour autant il est totalement possible de bouleverser cet ordre des choses pour dynamiser l’intrigue avec une rétrospection (flashback ou analepse). C’est justement le cas dans Épouse-moi où il y a un retour en arrière sur plusieurs chapitres. Vous pouvez également jouer sur l’anticipation (prolepse) en racontant des événements dans le futur. 

Par exemple, le très bon roman de Leïla Slimani, Chanson douce, joue sur l’ordre des événements pour rendre le récit original. Il y a à la fois des analepses et des prolepses.  

  • La durée (le rythme de la narration) 

C’est le temps que dure l’intrigue, le rythme auquel est racontée l’histoire. Jouer sur le rythme donne des variations de vitesses qui dynamisent le récit. L’histoire peut durer trois jours comme elle peut durer 100 ans. Vous pouvez choisir de raconter l’histoire dans le temps de l’intrigue comme dans une scène. Vous pouvez faire un saut dans le temps et vous dispensez de raconter des événements pour vous concentrer sur un événement capital, il s’agit d’une ellipse temporelle. Le sommaire détaille en quelques lignes le déroulement d’événements de longue durée pour accélérer le récit. Puis, la pause qui est un arrêt dans le temps, l’histoire est suspendue pour décrire un nouveau personnage ou un lieu. Généralement, un roman ou une nouvelle connaît plusieurs variations de vitesses. N’hésitez pas à alterner entre des arrêts sur image, des bonds dans le temps, des accélérations, etc…si votre histoire s’y prête.  

Fin de ce long article consacré à la narration qui est un élément déterminant de votre intrigue et qui mérite tout autant de réflexion que vos personnages. Parfois, tous les éléments de la narration s’imposeront à vous et d’autres fois, comme moi, vous vous interrogerez sur la meilleure voie à suivre. Si c’est le cas, n’hésitez pas à faire plusieurs tests pour voir ce qui correspond le mieux et répond à vos attentes vis-à-vis de vos textes

J’espère que cet article vous a aidé à voir plus clair dans la jungle qu’est la narration, et qu’il sera un outil indispensable pour faire les bons choix de narration. 

Avez-vous un procédé narratif de prédilection ? 

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Traitement en cours…
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Crédit photo : Rana Sawalha sur Unsplash

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